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Déshabillez-moââââ

Parking souterrain Rotonde, Aix, il y a 2 ans environ. Je cherche une place tandis que Juliette Gréco commence à m'enjoindre, par l'entremise de mon poste-radio, de la déshabiller. Pas tout de suite, pas trop vite. En sachant la captiver. Elle me demande de ne pas faire comme tous les hommes, trop pressés. Elle veut que je l'hypnotise. Tadam, tadam, tadadada-dam, tada. Hop, je me glisse. Dans la place. À contrecoeur, je coupe le moteur et mets fin au jeu de charme. Mais le rythme me poursuit, et en rejoignant l'ascenseur, insidieusement, je me prends à relancer le numéro. Tadam, tadam... En attendant que s'ouvrent les portes, je commence à chantonner, je suis seul, dans tout l'étage du parking ne se fait entendre que le vrombissement des aérateurs et des extracteurs. L'ascenseur est le moyen de transport le plus utilisé. Les milliers de trajets quotidiens qu'il réalise à travers le monde représentent des millions et des millions de kilomètres. Celui du parking Rotonde a la particularité d'être entièrement vitré et serti dans une cage elle-même vitrée, ouverte sur le panorama, contrairement à ces geôles opaques et suffocantes dont le miroir du fond peine à tromper l'exiguïté. Ding! Les portes coulissent, s'effacent, et le véhicule m'aspire dans son habitacle transparent, m'avale avec mon consentement, pour me remonter le long de son chenal vertical, sur le pavé des Allées provençales. La paroi du fond, de toute sa transparence, m'aimante. Les portes derrière moi se referment. Tadam, tadam, tadadada-dam, tada. Juliette Gréco m'a entraîné dans son petit jeu coquin. Dans cet intervalle de temps et d'altitude, entre le -4 et le 0, entre l'abysse ronronnant et la surface bruissante, une solitude lascive m'enveloppe chaudement, à la fois si proche et si loin du monde et de sa rage. Tadam, tadam. Je n'ai que quelques secondes pour laisser s'exprimer ce petit démon intérieur qui ne jouit de ce droit que dans ces rares moments de stricte intimité, sous la douche par exemple, ou dans l'auto sur une route de campagne, quand on se sait hors de portée du regard et de l'ouïe de tout être sensible, du moins humain. Tadam, tadam, tadadada-dam, tada. "Déshabillez-moi, déshabillez-moââ-ââ-ââ..." Coup de rein, déhanché, auto-érotisme. "Pas tout de suiiii-i-i-te, pas trop viiii-i-i-te..." Petits bruits de gorge, qui se veulent suaves. Licencieux. Sensuels et polissons. "Sachez me convoiter-er-er-er..." Re-bruit de gorge. "Me désirer-er-er-er..." Re-re-bruit de gorge, déhanchés à la chaîne, pseudo-effeuillage. L'ascenseur ralentit, il va interrompre sa marche. C'est le moment où le petit démon intérieur va se taire, s'enfouir, disparaître, et je vais reprendre devant le monde ma tenue digne et respectable. Une seconde avant la fin de l'ascension, un doute, peut-être un bruit derrière moi, un froissement de l'air, une vibration, qui me prend au milieu d'un déhanché. Horreur. Ma solitude n'avait été qu'une illusion. J'avais fait la montée avec un couple, que je n'avais ni vu ni entendu se faufiler derrière moi avant la fermeture des portes, au quatrième sous-sol. - 14 novembre 2017.