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Christophe Regina (1980-2018)

[Une partie de mon livre Sans plus retenir est consacrée au souvenir de Christophe.]

 

Nous avions un âge - jeunes gens, jeunes filles que nous étions - qui semblait constituer en lui-même une collusion. En deux jours, en un soir, en trois récrés, et même à l’angle d’une rue, on tombait copains, copines, camarades, comme ça, le plus simplement du monde.


J’ai fait la connaissance de Christophe en 2002, d’une manière aussi fortuite qu’inopinée. De notre informelle première discussion, et des suivantes, j’ai perdu les souvenirs. Au contraire ma mémoire a fixé de petites choses sans contexte.


J’avais 19 ans, lui 22 : barbe courte mais dense, noire; un décalage entre son aspect frêle, féminin, et la pilosité dont l’échancrure de ses cols et les manches de ses chemises laissaient déborder l’abondance - un réel motif d’étonnement pour moi qui faisais concorder sottement, dans mon esprit, le gracile et le glabre ; un semblable décalage entre sa ténuité et sa personnalité solide, entre sa féminité physique et la tranquille virilité de son caractère (j’avais encore des restes de stéréotypes en moi) ; décalage entre sa voix adolescente (bien que grave), ponctuée d’inflexions légèrement alanguies, et l’extrême sérieux de sa pensée ; un petit encombrement dans la bouche qui le faisait zézayer ou plus exactement susseyer, ce qui conférait à son élocution quelque chose d’enfantin ; une silhouette droite, svelte, un port élégant ; un sourire malicieux, des yeux pailletés, un regard pétillant, espiègle, auquel la courbe des paupières ajoutait une apparence de mélancolie.


(Christophe Regina, historien, maître de conférences, est né le 18 septembre 1980 et décédé le 12 octobre 2018.)

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