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La triple rencontre

Le 9 octobre 2021, la ville de Trets me faisait l’honneur de m’inviter à son salon du livre, parmi une jolie brochette d’auteurs. En fin de journée, un jeune homme avait discuté avec moi, avait hésité entre plusieurs de mes livres, avant de se décider pour le dernier, un roman érotico-policier, paru aux éditions Ex Æquo. Mon ami Éric Lovato assis à ma gauche en avait été témoin.

 

Dans la nuit du 6 novembre 2021, fidèle aux habitudes qui furent les miennes d’août à ce soir-là pour débrancher mon cerveau pénétré de chagrin, je buvais mon dixième ou douzième cocktail adossé à un mur d’une boîte de nuit marseillaise, le regard perdu dans le vague stroboscopique de la piste. 

 

Un type s’est avancé vers moi d’un pas rudement déterminé, j’ai cru qu’il allait me faire la bise, et qu’il me prenait pour un autre, j’ai voulu reculer, déstabilisé, mais j’étais le dos au mur. Son visage s’est glissé dans le creux de mon cou, sans le toucher, et il m’a soufflé ces mots à l’oreille :

« Je n’ai pas encore lu les aventures de Melvin, mais je commence bientôt. »

 

Puis il est parti pour le fumoir, en me plantant là. Les aventures de Melvin… Je connaissais bien un Melvin. C‘est le personnage de mon dernier roman. Mais à cet instant, avec mon Sex on the Beach à la main (si j’ose dire), les fils ne se connectaient pas. Comment ce gars-là pouvait-il connaître mon amnésique de Melvin! Je suis sûr d’avoir eu l’air le plus ahuri du monde.

 

Peut-être m’a-t-il fallu cinq longues secondes pour remettre les pièces en place : c’était le lecteur du salon de Trets! Je l’ai rejoint dans le fumoir, lui ai souri en l’appelant par son prénom. « Très bonne mémoire! » s’est-il étonné. C’est qu’il portait le même que l’auteur de chez Albin Michel qui avait dédicacé à ma droite, mon ébriété ne m’avait pas fait oublier ce détail. Nous avons échangé quelques banalités amusées.

 

Cette nuit-là, il m’a vu repartir en rogne et torse nu, car un jeune hipster a arraché simultanément et absolument TOUS les boutons de ma chemise à fleurs (neuve!) en voulant l’ouvrir d’un geste énergique, de ses deux mains, de façon théâtrale, sur la piste. C’était ma dernière soirée en boîte. Le lendemain, coupant tous mes réseaux comme je l’avais planifié depuis plusieurs jours, je commençais une retraite en traversant la France, pour me réfugier dans une solitude nécessaire.

 

C’est ensuite un long séjour en clinique, passons dessus pour nous retrouver au milieu de janvier 2022, dans une salle d’attente médicale aixoise. Le regard du garçon qui vient de s’asseoir en face de moi ne m’est pas étranger. Son masque anti-covid m’empêche de l’identifier, il semble se faire la même remarque et me demande, d’un signe, de baisser le mien. Nous rions : c’est le lecteur du salon de Trets, le type de la boîte de nuit! Troisième rencontre, coïncidence que je n’oserais même pas inventer pour un roman. Il migre à côté de moi. Discussion informelle. À force de se croiser, c’est cocasse, on échange les numéros.

 

Et je reçois hier ces textos (que je rassemble en un), je jure que tout est vrai :

« J’ai fini le Journal d’un sans-mémoire partie 1. Félicitations vraiment. Ça m’a plu de ouf. Vivement le 2. C’est rare que je lise aussi vite. Je l’ai conseillé à 2 personnes qui l’ont commandé en librairie hier. »

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