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À la recherche de la rue Chastel

Je me faufile dans la rue des Menudières, théâtre d’un événement d’importance dans mon roman à paraître bientôt (petit coup de pub et de teasing). Une rue très peu passante. Une mamie munie d’une béquille semble pourtant parlementer avec deux groupes de personnes. Je tente de passer au large (dans une rue dont la largeur n’excède pas deux mètres cinquante), quand je l’entends : « Bon, je vais demander à ce jeune homme, alors. »

 

Le monde entier se trouvait infichu de lui indiquer l’emplacement de la rue Chastel — miracle : je sais où elle est. Seulement, pas facile de fournir un plan de route à une dame née avant-guerre qui perd un peu la mémoire. Va pour le taxi à pied. « J’aurais juré que c’était celle-ci. Je perds la tête. »

Avec sa béquille, la cadence n’est pas militaire.

 

« Je vous dévie de votre chemin.

— Bah, je n’ai pas de chemin.

— Je vous fais perdre votre temps.

— Je ne suis pas pressé.

— Vous n’allez pas m’accompagner jusqu’à la rue Chastel, si?

— Chiche! C’est pour un passeport?

— Exactement! Je vois que vous connaissez. Vous êtes le seul. Cela fait une demi-heure que j’arrête tous les passants. Je leur demande s’ils sont du quartier. Eh ben, personne ne connaît la rue Chastel! Je leur dis : là où on fait les passeports!

— Vous allez partir en voyage?

— J’aurais voulu partir pour Noël, mais saviez-vous que certains pays demandent un passeport… tenez-vous bien… six mois avant le départ? Six mois! C’est râpé pour Noël! »

 

Rue Curie, rue Boulegon, rue Mignet.

« Mais enfin, elle est de l’autre côté de la ville, cette rue Chastel! »

 

Rue Suffren.

« Et en plus, ils vont me donner un rendez-vous pour dans trois mois. Plus les six mois. Quand est-ce que je vais partir en voyage, moi! Vous êtes à Aix depuis longtemps?

— Depuis trente et un ans.

— Trente et un? Votre âge, alors.

— J’ai trente-neuf.

— Finalement, tout le monde fait dix ans de moins que son âge. Mais, s’il vous plaît, ne vieillissez pas. Vous devez avoir une grand-mère qui perd la tête.

— Ma grand-mère est morte en 2008 à 94 ans. Mais elle avait tout son esprit.

— J’ai consulté pour l’alzheimer, mais je n’ai pas l’alzheimer.

— Bien sûr que non. C’est votre béquille qui a perdu le sens de l’orientation.

— J’ai le GPS, mais je ne lui fais pas confiance. Vous êtes plus fiable! »

 

Et enfin…

« Ah! Jusqu’au bout, vous êtes venu jusqu’au bout avec moi! »

Elle passe sa béquille dans la main gauche et plie le bras droit en me tendant son coude. Oui, elle me fait un check anticovid du coude!

« Je n’ai pas de calissons sur moi. Je remercie toujours avec des calissons. Mais les gens n’aiment plus les calissons. »

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