Le Parc à Ferrailles

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Il a pris sa première cuite à quinze ans, ce qui lui avait valu sa première vraie raclée, par son père. Depuis, il n’avait pas tellement touché à l’alcool, jusqu’à la mort de Lucie, à partir de quoi il est devenu carrément alcoolique. Vincent boit presque comme on respire. Sa vie s’est arrêtée en même temps que celle de sa femme. C’est ce qu’il se dit, qu’il ne doit pas être beau à voir, lorsqu’il aperçoit un homme assis au loin. Il se rapproche, lentement, mais sûrement, et arrive enfin à la hauteur du type. C’est un jeune homme, bonnet sur la tête, habillé tout en jean, l’air férocement antipathique. Paradoxalement, l’œil est à la fois mauvais et aguicheur. A y regarder de près, ce mec fait le tapin. Tant pis. Vincent se pose à côté de lui.

- Sans déconner, tu fais le trottoir?

- Non, je compte les vaches.

- Merde alors, et ça mord ?

- Je me plains pas. Et toi, là, tu fais quoi, au juste ?

Et Vincent lui raconte un peu. Il est sympa, le giton, en fait. Il l’écoute de bon cœur. Il a un peu pitié. Il lui propose de le suivre :

- Je t’emmène dans un bar, où j’ai mes potes. Tu trouveras de quoi dormir, okay ?

C’est bien la première fois que je prends l’air avec un putasson, se dit Vincent en riant. En marchant, il pense à ses parents. Il revoit sa mère. Que penserait-elle de lui, ce sac à vin, plein comme une outre, complètement à côté de la plaque ? Il en est là de ses réflexions éthyliques lorsqu’ils arrivent devant le bar en question, au-dessus duquel un étendard pend sottement, de toutes sortes de couleurs, et Vincent y reconnaît le drapeau arc-en-ciel des homosexuels. Au point où j’en suis. On le fait entrer. L’odeur des cigarettes lui arrache le nez. Mais la fumée ne l’empêche pas de voir tous les regards se braquer sur lui. Il y a de tout. Vincent traverse le bar en suivant le giton, baisse le regard. Son cicérone avise le patron des lieux et lui parle à l’oreille. On l’assoit.

- Voilà, je te laisse ici. Tu vois, là-bas au fond, c’est Manu. J’ai dit au patron de lui expliquer ta situation. Il va s’occuper de toi. Fais-lui confiance. Salut mon vieux.

En le voyant partir, Vincent ne se sent plus rassuré du tout. Mais il n’a plus envie de bouger. Il commande une bière, puis Manu vient le rejoindre.

- Salut Vincent. Je suis Manu. On m’a expliqué, je m’occupe de toi pour ce soir, d’accord ? Et puis demain encore, si tu veux. Pour l’instant, on reste un peu ici, jusqu’à la fermeture, et puis on ira chez moi.

A la troisième bière, Vincent ne sait plus du tout où il en est. Il y a bien un type qui essaie de le draguer, mais il s’en fout, il ne l’écoute pas. Manu rapplique, pousse le type, et lui dit de laisser Vincent tranquille.

- Viens un peu danser, Vincent. Allez, viens avec moi.

Le brouillard est épais. Vincent ne sait plus si c’est la fumée de cigarette qui lui bouche la vue, ou si c’est l’alcool qui lui trouble l'esprit. Manu a l’air sympa. Vincent essaie de danser un peu, les yeux fermés, la bière à la main, en fait, il dort à moitié.

 

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