Le Parc à Ferrailles

7

Deux silhouettes portent un mort. Non, ce n’est pas un mort, c’est Vincent qui dort. On monte les escaliers. On l’étend dans le lit de Manu.

- Merci Guillaume. Tu peux y aller, je m’occupe de lui.

 

Manu défroque Vincent et le glisse sous les draps. Avec un gant chaud, il lui nettoie un peu le visage, puis lui lave les pieds. Il va lui-même prendre une douche, puis vient s’allonger près de Vincent, qui entrouvre les yeux. Il est bientôt trois heures du matin. Manu lui demande s’il a besoin de quelque chose, Vincent marmonne que non dans son demi-sommeil. Il ne sait plus du tout où il est, il ne se pose aucune question, il s’en fout, de tout. Il ne comprend plus rien, il est complètement rond. Il ne pense plus à rien, enfin. Plus de Lucie, plus de parents, plus de Golf, plus rien, plus de téléphone qui sonne, plus de type pour dire : je suis désolé. Plus de flic, plus de pute, plus de parc à ferrailles, plus de bar gay. Une enclume dans la tête, mais plus de tout ça. Il peut dormir, et ne plus penser à rien, ne plus rêver. Manu l’accompagne dans son sommeil en lui caressant les cheveux, comme à un enfant. Il est attendri. Il voudrait l’aider. Il le regarde ainsi quelques minutes, éteint la lumière, ne s’endort que d’un œil, pour veiller sur lui. Les deux hommes dorment l’un à côté de l’autre. L’un est un pochetron seul au monde, l’autre un quidam qui n’est guère plus avancé dans la vie. Manu serait heureux de pouvoir aider Vincent. Mais il n’y a rien à faire. C’est irrécupérable. Putain de vie. Ma petite Lucie, putain de vie.

*

« … tragique cette nuit à Marseille a fait un mort. Il semblerait que le conducteur de la voiture de marque Golf faisait la course avec un autre véhicule… » Vincent et Manu se réveillent avec la gueule de bois et cette nouvelle anecdotique. C’est le radio-réveil qui vient de les tirer du sommeil. Manu n’a pas fait très attention à ce que racontait la journaliste, mais Vincent si. Son cœur s’est serré, lui fait mal. La tête aussi. Il regarde Manu à côté de lui, et ne comprend pas très bien. Où suis-je ? Manu se lève et va dans la cuisine. Vincent se rappelle le bar gay. Manu : il était dans ce bar. Mais que fout-il dans son lit ? L’angoisse lui tord les boyaux. Hier soir, il voulait baiser. Mais pas avec un mec. Est-ce qu'il a couché avec ce gars? Manu n’y a même pas songé pourtant. Ils n’ont rien fait. Il se rappelle l’accident, la violence du choc, la voiture projetée, l'avant du fourgon écrabouillé. Il se rappelle la police qui le cherchait. Lucie. Le cimetière. Une Toussaint de trop. Et cette nuit. C’est lui. C’est lui, Vincent, qui envoyé le fourgon dans la Golf, en répondant aux provocations du minus, c’est lui aussi, qui s’est jeté dans le lit de ce type. C’est lui, qui vit cette vie pourrie. C’est tout ce qu’il se dit, en se levant, et en traversant la pièce. Putain de vie. Lorsque Manu revient, la fenêtre est ouverte, et Vincent n’est plus là. Putain de vie. Ma petite Lucie, putain de vie.

- FIN -

 

1     2     3     4     5     6     < 7